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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


    quel ils transforment une question objective, portant sur la chose et sur ce qu’elle est, en une question subjective, concernant le sens du mot employé pour la désigner) et leur demander en retour : quel sens donnez-vous à ce rarement ? est- ce une fois tous les cent ans, ou anciennement et maintenant plus ? Ici, pour nous, rien n’est déterminable au moyen de la connaissance de l’objet (car, de notre propre aveu, cet objet nous est transcendant) ; c’est seulement aux maximes nécessaires de l’usage de notre raison que nous devons avoir recours, et ces maximes veulent ou qu’on admette les miracles comme se produisant quotidiennement (quoique cachés sous l’aspect de faits naturels) ou qu’on ne les admette jamais et, dans ce dernier cas, que l’on ne les donne pour base ni à nos explications rationnelles ni aux règles de nos actions ; comme la première de ces maximes est incompatible avec la raison, force nous est d’adopter la seconde ; car ce principe n’est toujours qu’une maxime d’appréciation (Maxime der Beurtheilung) et non une affirmation théorétique. Personne n’oserait se faire une assez haute idée de sa pénétration pour vouloir décider catégoriquement, au sujet, par exemple, de la si merveilleuse conservation des espèces végétales et animales, chaque génération nouvelle reproduisant sans altération son original avec toute la perfection intérieure du mécanisme et (comme on le voit dans les végétaux) même avec toute la beauté des couleurs du reste si tendres, et cela à chaque printemps, sans que les forces par ailleurs si destructives de la nature inorganique au cours des mauvais temps de l’automne et de l’hiver aient pu amoindrir à ce point de vue leurs semences, pour vouloir décider, disais-je, par une vue directe, que tout ceci est une simple conséquence des lois de la nature, et que cette conservation n’exige pas chaque fois l’influence immédiate du Créateur, ce qui serait tout autant admissible. — Mais toua ces faits sont des expériences ; ils ne sont donc pour nous que des effets physiques et nous ne devons jamais les juger autrement ; ainsi le commande la modestie de la raison dans ses prétentions ; dépasser ces limites, c’est témérité et présomption (Unbescheidenheit in Ansprüchen), bien que la plupart du temps on prétende montrer dans l’affirmation des miracles, une pensée qui s’humilie et se détache d’elle-même.