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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

quand pour sa défense le délinquant parle de tentations diaboliques dont il a été la victime, ne fait aucun cas de ce qu’il entend ; et cependant il y aurait, s’il trouvait la chose possible, une circonstance bien digne d’être prise par lui en considération dans ce fait qu’un pauvre imbécile est tombé dans les pièges d’un madré scélérat ; mais le juge ne peut pas citer le démon à sa barre, le confronter avec le prévenu, ni, en un mot, tirer des raisons invoquées quelque chose de raisonnable. L’ecclésiastique sensé se gardera donc bien de remplir la tête de ses fidèles d’histoires relatives au Protée infernal et de leur dépraver l’imagination. Pour ce qui est des bons miracles, les gens n’en font mention, dans ce qui touche à leurs occupations, que par manière de parler. Ainsi le médecin, en parlant d’un malade, dit : à moins d’un miracle, il n’y a rien à faire ; traduisez : sa mort est certaine. Or, au nombre des professions, il y a aussi celle du savant qui doit rechercher les causes des faits dans les lois physiques qui les régissent ; je dis, dans les lois de ces faits, lois que, par conséquent, il peut constater par l’expérience, bien qu’il doive se résigner à ne pas connaître, dans son essence (an sich selbst), ce qui agit d’après ces lois, ou bien ce que ces lois pourraient être pour nous si nous étions doués d’un autre sens (Sinn) possible. C’est également un devoir pour l’homme de travailler à son amélioration morale ; et certes, il se peut bien que des influences célestes collaborent toujours avec lui dans cette œuvre, ou soient regardées comme nécessaires pour en faire saisir la possibilité ; mais l’homme n’est capable ni de les distinguer, d’une manière sûre, des influences naturelles, ni de les attirer sur lui, elles et le ciel, pourrait-on dire ; ne sachant donc rien en faire directement, il ne constate[1] pas en ce cas de mi-

  1. [Cela revient à dire qu’il ne fait pas entrer la foi aux miracles dans ses maximes (de la raison théorique ou pratique) sans nier pourtant ni la possibilité ni la réalité des miracles.] 2e éd.