Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

fût-ce de temps à autre et dans des cas particuliers, laisse la nature s’écarter des lois qui la régissent, nous n’avons pas, et ne pouvons pas espérer d’avoir quelque jour, la moindre idée de la loi que Dieu suit dans la production d’un événement de ce genre (sauf cette idée morale générale que tout ce que Dieu fait est bien, laquelle, au point de vue de ce cas spécial, ne donne aucune détermination). Ici donc la raison est comme paralysée, puisque de ce fait elle est arrêtée dans ses spéculations dirigées par des lois connues, sans qu’aucune loi nouvelle l’instruise, sans que jamais non plus elle puisse espérer d’en recevoir en ce monde l’explication. Mais, de tous ces miracles, les diaboliques sont ceux qui sont les plus incompatibles avec l’usage de notre raison. Car, en ce qui concerne les miracles divins, la raison peut encore avoir pour son usage un critère au moins négatif, je veux dire que, dans le cas où l’on présenterait comme ordonnée par Dieu, dans une apparition divine immédiate, une chose directement contraire à la moralité, il est impossible, malgré toutes les apparences, qu’il y ait là un miracle divin (tel est, par exemple, le cas de l’ordre imposé à un père de tuer son fils, autant qu’il le sache, bien innocent) ; tandis que pour un miracle diabolique ce critère même nous fait défaut, et que si nous voulions, relativement à de tels miracles, prendre pour l’usage de la raison le critère opposé, c’est-à-dire positif, qui consisterait à envisager un miracle, s’il nous invite à l’accomplissement d’une action bonne et dans laquelle en soi nous reconnaissons déjà un devoir, comme n’étant pas l’œuvre d’un malin génie, nous pourrions, en ce cas, nous tromper grandement ; car le démon prend souvent, comme on dit, la forme d’un ange de la lumière.

Dans la pratique, on ne peut donc jamais faire état des miracles ni les faire entrer en ligne de compte dans l’usage de la raison (nécessaire à chacun dans tous les états de la vie). Le juge (quelle que soit sa foi, dans l’église, aux miracles),