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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

blement conservé dans toute âme humaine et n’a nul besoin de miracles, a pu se répandre au grand jour, à la condition ― et ceci concerne l’usage de ces narrations historiques ― de ne pas faire de la connaissance de ces miracles, de leur confession de bouche et de cœur, une partie de la religion, une chose qui soit d’elle-même capable de nous rendre agréables à Dieu.

Mais pour ce qui regarde les miracles en général, il se trouve des hommes judicieux qui, n’étant point d’avis de se refuser à y croire, ne veulent jamais toutefois laisser pratiquement intervenir cette croyance ; ce qui revient à dire que s’ils croient théoriquement à l’existence de miracles, ils n’en veulent pas reconnaître en fait (in Geschäften). C’est pourquoi de sages gouvernements, tout en admettant l’opinion qu’il y a eu des miracles anciennement, tout en lui faisant même une place légale parmi les théories religieuses publiques, n’ont cependant pas permis de nouveaux miracles[1]. En effet, les anciens miracles ont été

  1. Les docteurs en religion qui, pour leurs articles de foi, suivent l’inspiration de l’autorité gouvernementale (les orthodoxes), se laissent eux-mêmes, en ce point, guider par la meure maxime. C’est pourquoi M. Pfenniger, dans sa défense de M. Lavater, son ami, qui avait soutenu la possibilité toujours réelle d’une loi qui opère des miracles, les taxait à bon droit d’inconséquence, puisque tout en professant (car il exceptait explicitement ceux dont la façon de penser était naturaliste sur ce point) qu’il y a eu réellement des thaumaturges dans la communauté chrétienne, voici environ dix-sept siècles, ils n’en voulaient plus reconnaître aucun aujourd’hui, sans pouvoir cependant prouver par l’Écriture, ni que ces miracles un jour devaient totalement cesser, ni à quelle époque ils devaient cesser (soutenir en effet qu’ils ne sont plus maintenant nécessaires, c’est une sophistication par où l’on prétend à des vues trop grandes pour qu’un homme se les accorde) ; et la preuve qu’il demandait, ces docteurs ne l’ont point fournie. Ils ne se guidaient donc que sur une maxime de la raison pour refuser d’admettre et de permettre actuellement des miracles, non sur une vue objective qu’il ne s’en fait plus de nos jours. Mais est-ce que cette maxime, qui cette fois-ci vise des désordres à redouter dans la communauté civile, ne s’appliquerait pas aussi à la crainte qu’on peut avoir de désordres analogues dans la république des philosophes ou des penseurs en général ? ― Ceux qui, n’admettant pas de grands miracles (des miracles sensationnels) en permettent pourtant libéralement de petits, par eux nommés direction extraordi-