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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

autre domination morale (car il faut que l’homme se range sous une domination de ce genre), une république (Freistatt où ils peuvent trouver aide et protection pour leur moralité, s’ils veulent quitter leur ancien tyran. Du reste, le mauvais principe est toujours appelé le prince de ce monde où les partisans du bon principe doivent toujours s’attendre à des souffrances physiques, à des sacrifices, à des mortifications d’amour-propre qui sont représentées ici comme des persécutions du mauvais principe, étant donné que ce principe réserve, dans son royaume, ses récompenses à ceux-là seuls qui ont fait des biens terrestres leur fin dernière.

On voit aisément que, dépouillée de son enveloppe mystique, cette représentation vivante, qui seule vraisemblablement pouvait en son temps mettre l’idée à la portée de tous (populäre Vorstellungsart), a été (quant à son esprit et quant à son sens rationnel) pratiquement valable et obligatoire pour tout le monde et pour tous les temps, parce qu’elle est assez rapprochée de nous tous pour nous servir à connaître notre devoir. Le sens en est que le seul salut pour les hommes c’est d’accepter très intimement de véritables principes moraux dans leur intention ; qu’à cette acceptation s’oppose non point la sensibilité, comme on l’en accuse si fréquemment, mais une certaine perversité, qui est elle-même coupable, une méchanceté qu’on peut du reste aussi appeler fausseté (ruse du démon par laquelle le mal est entré dans le monde), perversité inhérente à tout homme, et qui ne peut être vaincue que par l’idée du bien moral dans sa parfaite pureté, si l’on a conscience que cette idée du bien appartient réellement à la disposition primitive de l’homme et qu’on n’a qu’à s’appliquer à la maintenir pure de tout mélange et à l’adopter profondément dans son intention pour être convaincu, grâce à l’effet qu’elle produit insensiblement sur l’âme, que les puissantes redoutées du mal n’ont plus sur elle de pouvoir (« les portes