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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

tement cette mort (le degré le plus élevé des souffrances d’un homme) était la mise en lumière du bon principe, c’est-à-dire de l’humanité <dans toute> sa perfection morale, comme un modèle à imiter par tous. La représentation de cette mort dut avoir dans son temps, et peut avoir même pour tous les temps, la plus grande influence sur les âmes humaines, en faisant voir, dans le plus saisissant contraste, la liberté des enfants du ciel et l’esclavage d’un simple fils de la terre. Ce n’est pas cependant simplement à une certaine époque, mais dès l’origine du genre humain, que le bon principe est descendu du ciel dans l’humanité, d’une manière invisible (comme doit l’avouer tout homme qui remarque à la fois la sainteté de ce principe et l’impossibilité où l’on est d’en comprendre l’union avec la nature sensible de l’homme dans la disposition morale), et y a élu juridiquement son premier domicile. Quand donc il apparut dans un homme réel pour servir de modèle aux autres, « il vint dans sa propriété et les siens ne l’accueillirent point ; à ceux qui le reçurent il donna le pouvoir de s’appeler enfants de Dieu croyant en son nom » ; c’est-à-dire que, par l’exemple de l’homme qu’il a revêtu (dans l’Idée morale), il ouvre toute grande la porte de la liberté à tous ceux qui veulent, comme Lui, mourir à tout ce qui les tient, au détriment de la moralité, enchaînés à la vie terrestre, et qu’il forme avec eux « un peuple dévoué aux bonnes œuvres, qui est à Lui » et se soumet à sa domination, abandonnant à leur sort ceux qui préfèrent la servitude morale.

Donc l’issue morale de ce combat, du côté du héros de cette histoire (jusqu’à sa mort), n’est pas, à proprement parler, la défaite du mauvais principe — puisque son règne dure encore et qu’il faut, en tout cas, que vienne une nouvelle époque où il sera détruit — mais seulement un amoindrissement de sa puissance, puisqu’il ne peut plus retenir, contre leur volonté, ceux qu’il a eus si longtemps pour sujets, maintenant, que pour eux s’est ouverte une

Kant. — Religion. 7