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AVANT-PROPOS


grande, à affirmer de ces mêmes objets quelque chose de négatif. — Si donc nous pouvons, par une autre voie, être amenés à accepter « ces propositions cardinales », nous n’aurons plus à redouter les attaques du dogmatisme, et la religion, désormais fondée sur des bases inébranlables, aura le droit de négliger les négations de l’incrédulité. — Or, dans son usage pratique, la raison se trouve contrainte de regarder comme nécessaires les thèses que supposait la spéculation. La liberté pratique, qui s’impose à nous « par l’expérience[1] », a pour corollaires indispensables l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et les hypothèses spéculatives se transforment en postulats. Ainsi, tournée vers la pratique, la Raison a le droit d’admettre ce que, spéculativement, elle ne pouvait que souhaiter. Sans doute, elle ne pourra pas se servir des thèses ainsi établies comme de principes d’explication relatifs au monde des phénomènes ; les assertions de la raison pratique n’auront pas d’usage spéculatif et nous devrons toujours expliquer par des lois physiques et par des causes naturelles, comme si Dieu n’existait pas, tout ce qui se passe dans la nature, et par suite aussi rendre compte suivant le plus pur mécanisme de nos actes dans la nature, comme si nous n’étions pas libres ; mais dans le champ de la pratique, nous pourrons nous baser sur ces postulats essentiels, qui nous font saisir les noumènes, pour en tirer des conclusions sur la réalité cachée et nous voir placés « dans un monde de natures spirituelles », « dans un monde moral, intelligible », dont nous faisons partie avant de naître et où nous restons après notre mort[2], ce qui nous permet d’espérer le bonheur dans un autre monde dans la mesure où nous accomplissons, en obéissant à la loi morale, « ce qu’il faut pour en être dignes [3] ».

  1. Loc. cit., p. 623.>
  2. Id., p. 610, p. 630.
  3. Id., pp. 627-8.