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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

prise en considération ; un tel ordre de choses n’était point fait pour ruiner de fond en comble le règne des ténèbres et ne servait qu’à rappeler sans cesse l’imprescriptible droit du Maître primitif — Or, chez ce même peuple, au moment où il ressentait, aussi fortement que possible, tons les maux inhérents à une constitution hiérarchique, et où, pour ce motif, comme aussi peut-être sous l’influence exercée peu à peu sur lui par ces leçons de liberté morale ébranlant l’esprit d’esclavage données au monde par les sages grecs, s’ouvrait grandement à la réflexion, et par conséquent, était mûr pour une révolution, apparut tout à coup un personnage dont la sagesse encore plus pure que celle des philosophes antérieurs semblait comme descendre du ciel et qui tout en se donnant lui-même, en ce qui touchait ses enseignements et son exemple, pour un homme véritable sans doute, s’annonçait cependant comme un envoyé d’une naissance telle qu’il gardait l’innocence originelle et n’était point compris dans le pacte que le reste du genre humain, par son représentant, le premier homme, avait conclu avec le principe mauvais[1], si bien « qu’en

  1. [Qu’une personne affranchie du penchant inné au mal soit concevable comme possible si on la fait naître d’une vierge mère, c’est une idée de la raison s’accommodant à un instinct qu’on peut dire moral difficilement explicable, mais cependant indéniable ; nous considérons, en effet, la procréation naturelle, parce qu’elle est toujours liée au plaisir sensuel d’un couple et que (pour la dignité de l’humanité) elle semble établir une trop proche parenté entre nous et l’espèce des animaux en général, comme une chose dont nous avons à rougir ; — représentation qui, certainement, est devenue la véritable cause de la prétendue sainteté de l’état monacal ; — par conséquent, elle nous apparaît comme quelque chose d’immoral et d’inconciliable avec la perfection d’un homme, mais qui cependant est entré dans notre nature et se transmet, par suite, à la descendance du premier homme comme une hérédité (Anlage) mauvaise. ― À cette représentation obscure (d’un côté simplement sensible, mais d’un autre côté morale, et par conséquent intellectuelle) est donc bien adéquate l’idée d’une procréation (virginale), indépendante de tout rapport sexuel, d’un entant exempté de tout défaut moral, bien qu’elle ne soit pas théoriquement sans difficultés (il est vrai, toutefois, qu’au point de vue pratique ou n’a rien à déterminer en ce qui regarde la théorie). Car dans l’hypothèse de l’épi-