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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

duré. Ici donc l’homme ne peut pas donner comme valant des faits l’intention qu’il a eue d’abord, et c’est au contraire des faits évoqués devant lui qu’il doit tirer son intention. Peut-être le lecteur se demande-t-il si cette pensée qui rappelle à l’homme (et point n’est besoin que l’on prenne le plus méchant) beaucoup de choses que depuis longtemps il a perdues de vue avec légèreté, si cette pensée, dis-je, quand on se bornerait à lui rappeler qu’il a lieu de croire qu’il doit un jour comparaître devant un juge, seule décidera de sa destinée à venir d’après sa conduite jusqu’à ce jour ? Si l’on interroge dans l’homme le juge qui se trouve en lui, il se juge sévèrement, car il ne peut suborner sa raison ; mais si on lui présente un autre juge, et qu’on veuille informer sur son compte par des renseignements puisés à d’autres sources, il a à faire alors, contre la sévérité de son juge, de nombreuses objections tirées de la fragilité humaine, et, d’une façon générale, il croit avoir prise sur lui, soit en prévenant le châtiment qu’il en recevrait par des punitions qu’il s’inflige à lui-même, comme marques de repentir, mais sans qu’elles prennent leur source dans une intention véritable d’amélioration, soit en réussissant à le fléchir par des prières et des supplications et même par des formules et par des professions de foi (für gläubig ausgegebene Bekenntnisse) ; et une fois que cette espérance lui est ouverte (selon le proverbe que tout est bien, qui finit bien), il s’appuie là-dessus pour établir ses plans, de très bonne heure, de manière à ne point se priver sans nécessité de trop de plaisirs dans la vie (zu viel am vergnügten Leben), et à pouvoir, quand il touchera à sa fin, régler promptement son compte à son avantage[1].

  1. [L’intention de ceux qui, à leurs derniers moments, font appeler un ecclésiastique est ordinairement d’avoir en lui un consolateur non des souffrances physiques que comportent la maladie suprême et mémo, à elle seule, la crainte naturelle de la mort (car, de ces souffrances, la mort, qui les termine, peut être le consolateur), mais des souffrances morales, c’est-à-dire des reproches de la conscience. Or, il