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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

d’une conversion morale, peuvent déjà être regardés comme inclus les maux que le nouvel homme, animé de bonnes intentions, peut considérer comme mérités avant sa régénération (sous un autre rapport) et prendre pour des châtiments[1] grâce auxquels il est satisfait à la justice divine. ― Se convertir, c’est en effet sortir du mal et entrer dans le bien, dépouiller le vieil homme et revêtir l’homme nouveau, puisque, pour le sujet, c’est mourir au péché (par suite à toutes les inclinations, en tant qu’elles nous y induisent) pour vivre à la justice. ― Or cette conversion, en tant que détermination intellectuelle, ne comporte pas deux actes moraux séparés par un intervalle de temps, mais elle n’est qu’un acte unique, parce que l’abandon du mal n’est possible qu’au moyen de l’intention bonne qui nous ouvre l’entrée du bien, et vice versa. Le bon principe est donc contenu aussi bien dans l’abandon de l’intention mauvaise que dans l’acceptation de la bonne intention, et la douleur qui accompagne, comme il est juste, la première, disparaît

  1. On aurait tort de considérer l’hypothèse pour qui tous les maux de ce monde en général jouent le rôle de châtiments frappant les transgressions commises, comme forgée en vue d’une théodicée, ou comme une invention faite pour les besoins de la religion des prêtres (du culte) ; (car elle est trop commune pour qu’on y voie une conception si habile) ; tout fait présumer, au contraire, qu’elle tient de très près à la raison humaine, qui est portée à rattacher le cours de la nature aux lois de la moralité, et qui, tout naturellement, en déduit la pensée que nous devons d’abord chercher à nous rendre meilleurs, avant de pouvoir désirer d’être délivrés des maux de la vie ou de leur trouver des compensations dans un bonheur (Wohl) qui les dépasse. ― De là vient que le premier homme (dans l’Écriture sainte) est représenté comme condamné à travailler pour vivre, sa femme à enfanter dans la douleur et tous deux à mourir à cause de leur transgression, bien qu’il ne soit pas possible de voir comment, si cette transgression n’eût pas été commise, des créatures organisées pour la vie animale et pourvues des membres que nous voyons auraient bien pu s’attendre à une autre destination. Chez les Hindous, les hommes ne sont pas autre chose que des esprits (nommés Dewas) emprisonnés dans des corps animaux en punition de leurs anciennes fautes ; et même un philosophe (Malebranche) aimait mieux refuser une âme aux bêtes privées de raison et les dépouiller ainsi de tout senti-ment que d’admettre que les chevaux dussent endurer tant de maux « sans avoir pourtant brouté du foin détendu ».