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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

sa vie, comme réprouvable devant une justice divine, est la difficulté suivante. — Peu importe que l’homme ait adopté une bonne intention et qu’il continue régulièrement (beharrlich) à y conformer sa conduite, il a commencé par le mal et c’est là une dette qu’il ne lui est plus possible d’éteindre. En supposant qu’après sa conversion il ne fasse plus de dettes nouvelles, cela ne l’autorise pas à croire qu’il s’est ainsi libéré des anciennes. Il ne peut pas non plus, dans la bonne conduite qu’il mène désormais, se procurer un excédent en faisant plus que ce qu’il est tenu de faire chaque fois ; car il a toujours pour devoir de faire tout le bien qu’il peut. ― Or cette dette originelle ou, en général, antérieure à tout ce que jamais on peut faire de bien — nous n’entendions pas autre chose en parlant du mal radical (voir première partie) — à en juger d’après notre droit naturel, ne peut pas non plus être acquittée par un autre ; car ce n’est pas une obligation transmissible, comme l’est, par exemple une dette d’argent (dont il est indifférent au créancier d’être remboursé par son débiteur en personne ou par quelqu’un d’autre) que l’on peut faire endosser par un tiers, mais la plus personnelle de toutes les obligations, celle que l’homme a contractée par le péché et dont seul le coupable doit supporter le poids, sans que l’innocent puisse s’en charger en son lieu et place, fût-il assez magnanime pour le vouloir. ― Enfin le mal moral (la transgression de la loi morale, en tant que celle loi est un commandement divin, ou autrement dit le péché), implique, non pas tant à cause de l’infinité du suprême Législateur dont il blesse l’autorité (car nous n’entendons rien à un rapport transcendant de ce genre de l’homme avec l’Être suprême), mais surtout à titre de mal dans l’intention et dans les maximes en général (où l’on verrait des principes universels si on les comparait à des transgressions singulières), implique, dis-je, une infinité d’atteintes portées à la loi, et par suite une infinité de la faute (bien que devant un tribunal humain qui