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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

clet) lorsque nos faux pas nous donnent des inquiétudes au sujet de sa persistance. Une certitude, en cette matière, n’est ni possible à l’homme, ni moralement avantageuse, autant qu’il nous est permis d’en juger. En effet (et c’est une chose qu’il faut bien remarquer), nous ne pouvons pas fonder cette confiance sur une conscience immédiate de l’immutabilité de nos intentions, car nous ne pouvons pas les pénétrer, et c’est uniquement des effets qu’elles manifestent dans notre conduite que nous devons conclure à leur immutabilité ; or cette conclusion, n’étant basée que sur des perceptions ou phénomènes de la bonne intention et de l’intention mauvaise, n’en fait jamais connaître avec certitude la force, et elle est surtout en défaut quand on pense avoir amélioré son intention aux approches probables de la fin de sa vie, étant donné l’absence de pareilles preuves empiriques de la pureté de cette intention : alors, en effet, nous ne pouvons plus fonder sur notre manière de vivre le jugement à rendre sur notre mérite moral, et la désolation (que, cependant, la nature de l’homme, dans l’obscurité qui affecte toutes les prévisions touchant les limites de cette vie, empêche déjà, d’elle-même, de se changer en désespoir farouche), la désolation, disons-nous, est la conséquence inévitable du jugement rationnel à porter sur notre état moral.

La troisième difficulté, et la plus grande en apparence, celle qui, même après que l’homme est entré dans la bonne voie, ne le représente pas moins, dans le jugement de toute

    générale, si, renonçant aux principes constitutifs de la connaissance se rapportant à des objets suprasensibles, dont il faut avouer que la claire vue (Einsicht) nous est impossible, nous limitions notre jugement aux principes régulateurs qui n’en concernent que l’emploi pratique possible, la sagesse humaine, à beaucoup d’égards, s’en trouverait mieux et l’on ne verrait pas un prétendu savoir concernant une chose qu’au fond l’on ignore totalement, donner le jour à des subtilités dépourvues de tout fondement, mais qui demeurent assez longtemps brillantes, et qui finalement un jour tournent au détriment de la moralité.