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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

sainte ; mais nous pouvons penser que ce progrès à l’infini du bien vers la conformité avec la loi, à cause de l’intention d’où il dérive, qui est suprasensible, est regardé par Celui qui sonde les cœurs, dans son intuition intellectuelle pure, comme formant un tout complet, même quant au fait (quant à la conduite)[1], et qu’ainsi, nonobstant sa permanente imperfection, l’homme peut pourtant espérer d’une manière générale d’être agréable à Dieu, à quelque moment du temps que son existence soit interrompue.

La deuxième difficulté se fait jour quand on considère l’homme s’efforçant vers le bien du point de vue de ce bien moral même et de sa relation à la bonté divine ; elle concerne la félicité morale, expression par laquelle il ne faut pas entendre l’assurance que l’on aura toujours des sujets de satisfaction dans son état physique (qu’on sera délivré des maux et que l’on jouira de plaisirs sans cesse croissants), ce qui serait le bonheur matériel (physische Glückselikeit), mais l’assurance qui nous garantit la réalité et la persistance d’une intention toujours en progrès dans le bien (et ne retombant jamais dans le mal), car « chercher » constamment « le royaume de Dieu », pourvu que l’on eût la ferme assurance de l’immuabilité de cette intention, cela équivaudrait à se savoir déjà en possession de ce royaume, puisque, en effet, l’homme en qui vivraient de tels sentiments aurait déjà de lui-même la confiance que

  1. Ne perdez pas de vue que ce qu’on veut dire par là ce n’est pas que l’intention doit servir de compensation au manque de justice (die Ermangelung des Pflichtmässigen) et par suite au mal effectif dans cette série infinie (il est plutôt présupposé qu’on doit trouver en elle la manière d’être morale qui rend l’homme agréable à Dieu) ; mais que l’intention qui remplace la totalité de cette série d’approximations continues se poursuivant à l’infini, se borne à suppléer à l’imperfection inséparablement liée à l’existence de n’importe quel être dans le temps et qui fait qu’on ne peut jamais être complètement ce qu’on se propose de devenir ; quant à la compensation des transgressions commises au cours de ce progrès, il en sera parlé dans la solution de la troisième difficulté.