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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

rencontrions encore de grandes difficultés que nous allons exposer.


c) Difficultés soulevées contre la réalité de cette idée et solution de ces difficultés.


La première difficulté qui rend douteuse la possibilité de réaliser cette idée de l’humanité agréable à Dieu en nous, étant donnée la sainteté du législateur et les défauts de notre propre justice, est la suivante. La Loi dit : « Soyez saints (dans votre manière de vivre) comme est saint votre Père qui est aux cieux ; » car tel est l’idéal du Fils de Dieu qui nous est donné pour modèle. Mais la distance entre le bien que nous devons réaliser en nous et le mal dont nous partons est infinie et, comme telle, à tout jamais infranchissable, en ce qui concerne le fait (die That), c’est-à-dire la conformité de notre conduite à la sainteté de la loi. Et cependant le caractère moral de l’homme doit concorder avec cette sainteté. Il nous faut donc le faire consister dans l’intention, dans la maxime universelle et pure de la concordance de la conduite avec la loi, germe dont tout bien doit sortir, intention qui provient d’un principe saint que l’homme a adopté pour maxime suprême. C’est une conversion (Sinnesänderung) qui doit être possible puisqu’elle est un devoir. Or, voici où réside la difficulté : comment l’intention peut-elle suppléer au fait, qui est toujours (non pas en général, mais à chaque moment) défectueux ? Et voici le moyen de la résoudre : étant donné que notre fait est un progrès continuel du bien défectueux au mieux et que ce progrès va à l’infini, suivant notre façon d’apprécier les choses, à nous qui sommes inévitablement bornés à des conditions de temps dans les concepts du rapport de cause et d’effets, ce fait reste toujours défectueux ; de sorte qu’il nous faut toujours, dans le phénomène, c’est-à-dire suivant le fait, considérer le bien en nous comme insuffisant relativement à une loi