Mais tous les devoirs ne présentent pas le même caractère. Il en est qui par leur nature échappent à toute contrainte extérieure, à toute législation publique. Tel est, par exemple, celui de travailler au perfectionnement de soi-même, ou celui de se proposer pour fin le bonheur d’autrui. Ces devoirs ne correspondent plus à certains droits dans autrui ; et c’est pour quoi, encore qu’ils nous soient prescrits par la loi morale, nul ne peut nous contraindre à les remplir, et aucune législation extérieure ne saurait nous les imposer : ils ne relèvent que de notre conscience. En les négligeant, nous ne portons atteinte aux droits de personne, mais nous manquons de vertu. Aussi Kant les appelle-t-il des devoirs de vertu, par opposition aux précédents. De ce nombre sont tous nos devoirs envers nous-mêmes, et une partie de ceux que la morale nous prescrit envers nos semblables, tous ceux par exemple qui ont pour objet, non plus la justice, mais la pure bienfaisance. Tout ce qui est juste, dans le sens strict de ce mot, est obligatoire de droit ; tout ce qui est pure bienfaisance est affaire de vertu. On comprend aussi par là cet autre caractère par lequel Kant distingue des devoirs de droit les devoirs de vertu : tandis que les premiers sont d’obligation stricte, les seconds sont d’obligation large. En effet, les prescriptions du droit n’admettent pas de plus ou de moins : ce qu’elles exigent de nous est toujours quelque chose de net et de précis. et c’est cette précision en quelque sorte mathématique qui a fait de la balance le symbole de la justice ; mais les maximes de la vertu laissent à notre libre arbitre une certaine latitude où son action peut se resserrer ou s’étendre. C’est encore la même vérité que Kant exprime sous une autre forme, en disant que la vertu, à la différence du droit, nous prescrit des maximes générales à suivre plutôt que certains actes déterminés à pratiquer. On peut bien en effet déterminer exactement ce qu’exige le droit dans chaque cas particulier : cette balance dont je viens de parler nous l’indique toujours avec une extrême précision ; mais comment fixer tous les actes où peut se traduire la vertu ? On peut peser ou mesurer le droit ; comment peser ou mesurer la vertu ? Elle n’a pas de limites, c’est pour ainsi dire l’infini.
En traçant cette distinction que, pour ma part, je regarde comme parfaitement exacte en général, Kant, qu’on y prenne