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ANALYSE CRITIQUE


nous sont absolument incompréhensibles. Pour mieux faire comprendre cette incompréhensibilité, Kant s’applique à rele ver les difficultés ou les contradictions que suscite la question de la fin de Dieu relativement à l’humanité. On ne peut concevoir cette fin autrement que comme une fin d’amour, c’est-à-dire comme étant le bonheur des hommes ; mais la raison ne permet pas de séparer l’amour d’avec la justice, qui en est la condition restrictive. Or la justice, qui, selon Kant, du côté de l’Être suprême, est purement pénale et ne peut être regardée comme munératrice, puisque les hommes ne sauraient avoir de droits envers lui et que par conséquent la récompense ne peut être de lui à eux qu’un effet de son amour et de sa bonté, cette justice pénale nous est entièrement inaccessible. D’abord, quand nous parlons, suivant notre humain langage, d’offenses envers Dieu, n’oublions pas qu’il ne s’agit pas ici d’un de ces outrages dont nous nous rendons coupables les uns à l’égard des autres, puisque Dieu est au-dessus de toute atteinte. Ensuite n’y a-t —il pas quelque contradiction dans l’idée d’une justice pénale personnifiée en un être particulier ? Comment en effet attribuer à une personne administrant la justice des sentences de condamnation telles que celles-ci : « Le crime ne peut demeurer impuni : si le coupable échappe à la punition, sa postérité payera pour lui ; — il faut que la dette du péché soit acquittée, dût un innocent s’offrir en victime expiatoire ! » Ces exemples prouvent bien que la justice en soi, l’éternelle justice est quelque chose d’impersonnel ( « car une personne ne pourrait prononcer ainsi à l’égard de l’un sans se montrer injuste à l’égard des autres 1[1] » ), et que, si Dieu en est l’exécuteur suprême. il est lui-même soumis à son inflexible nécessité. D’un autre côté, à voir le nombre éternellement croissant des coupables qui étendent sans cesse le compte de leurs crimes, il semble que la création d’un monde si contraire au dessein de son auteur n’aurait jamais dû avoir lieu. De tout cela Kant conclut que les rapports de Dieu et de l’homme sont au-dessus de la portée de notre intelligence, et que par conséquent l’éthique ne doit pas s’étendre au delà du champ des devoirs de l’homme envers lui-même et envers ses sem-

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