Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lvii
DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


salutaire : il nous avertit de travailler à nous amender, et il nous pousse à reconquérir par ce moyen la sérénité que nous avons perdue. La sérénité, tel est donc le caractère qu’il faut donner à la discipline que l’âme exerce sur elle-même ; elle ne peut être méritoire et exemplaire qu’à cette condition. On a vu que Kant ramène tout l’ensemble des devoirs de la conclusion.

Conclusion : des rapports de la morale et de la religion.

On a vu que Kant ramène tout l’ensemble des devoirs de la vertu à deux branches : celle des devoirs envers nous-mêmes et celle des devoirs envers les autres hommes, et que, tout en reconnaissant la nécessité de donner à la morale philosophique un caractère religieux, il en exclut cette troisième branche que les moralistes ajoutent ordinairement aux deux précédentes sous le titre de Devoirs envers Dieu 1[1]. Ce double point a aux yeux de notre philosophe une grande importance : aussi y consacre-t-il la conclusion de son ouvrage et la remarque finale qu’il y joint 2[2]. Si par morale religieuse on n’entend autre chose que « l’ensemble de nos devoirs conçus comme des commandements divins, » il n’y a rien là que de très-conforme à la raison pratique. Celle-ci en effet exige que nous joignions à l’idée de la législation morale celle d’un être dont cette législation exprime la volonté suprême, et que par cette dernière idée nous augmentions l’efficacité de la première. La force singulière qu’elle en reçoit et dont elle ne saurait se passer nous fait un devoir de ne pas négliger un si important appui ; mais ce devoir, relatif à Dieu, n’est point un devoir envers Dieu : ce n’est en réalité qu’un devoir envers soi-même. En général il n’y a pas, au point de vue de la pure philosophie morale, de devoirs envers Dieu ; ainsi entendue, la morale religieuse sort des limites de la philosophie. Qu’une religion révélée, ou se donnant pour telle, nous impose certaines observances spéciales à remplir envers Dieu, ou un certain culte à lui rendre, cela se conçoit. Mais quels devoirs particuliers ou quel culte la pure philosophie, c’est-à-dire la raison réduite à elle-même, peut-elle nous prescrire envers un être tel que Dieu ? Des devoirs de cette espèce supposeraient la connaissance déterminée des rapports de Dieu et de l’homme. Or ces rapports

  1. 1 Voyez plus haut, p. xxxi et p. xxxiii.
  2. 2 Trad. franç., p. 178-184.