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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


ce serait jeter ses droits aux pieds des autres, et manquer à ce que l’homme se doit à lui-même. »

Tous les vices que nous venons de parcourir sont tellement détestables et montrent la nature humaine sous un jour si odieux que, pour mieux exprimer l’horreur qu’ils inspirent, on les appelle diaboliques, tandis qu’on nomme angéliques les vertus qui leur sont opposées 1[1]. Ces expressions ont cela de bon qu’elles représentent en quelque sorte le maximum d’après lequel nous devons estimer notre moralité ; mais elles marquent une opposition exagérée, en ce sens que l’homme n’habite ni le ciel ni la terre. « L’homme, a-t-on dit d’un autre côté, est un intermédiaire équivoque entre l’ange et la bête. » Il est malheureusement vrai qu’il tombe souvent dans des vices brutaux, mais cela ne nous autorise pas cependant à les regarder comme des dispositions inhérentes à sa nature. » Quand nous rencontrons dans une forêt des arbres rabougris, en faisons-nous une espèce particulière de végétaux ?

Des devoirs de respect.

A l’amour la vertu exige qu’on joigne le respect. Si nous avons des devoirs d’amour envers nos semblables, nous avons aussi des devoirs de respect envers eux 2[2]. Tout homme a droit au respect de ses semblables, et réciproquement il est obligé lui-même au respect à l’égard de chacun d’eux. Telle est en effet la dignité qui réside dans la personne humaine qu’elle lui donne une valeur inestimable et qu’elle commande le respect partout où elle a mis son empreinte. Il est donc contraire au devoir de mépriser ses semblables. Sans doute il y a des hommes qui méritent peu d’estime, mais chez ceux mêmes qui en sont le moins dignes, l’humanité, dont ils ont au moins la figure, a encore droit à un certain respect. « Aussi, dit Kant 3[3], faut-il rejeter ces peines infamantes qui dégradent l’humanité même et qui, par là plus douloureuses pour le patient que la perte de ses biens ou de sa vie, font en outre rougir le spectateur d’appartenir à une espèce qu’on puisse traiter de la sorte. » On doit même éviter de pousser les reproches qu’on adresse à un homme au sujet de ses vices, au point de paraître le mépriser entièrement et lui refuser toute valeur

  1. 1 Ibid. Remarque.
  2. 2 § 37-41, p. 141-146.
  3. 3 P. 143.