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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


premiers devoirs étaient d’obligation stricte, les seconds, par leur nature même, ne contiennent qu’une obligation large, ou sont nécessairement imparfaits. L’exposition de cette dernière classe de devoirs va bailleurs faire ressortir ce caractère.

Du développement de notre perfection naturelle.

Le perfectionnement de soi-même, auquel tendent tous ces devoirs, peut s’entendre d’abord du développement et de l’accroissement de nos facultés naturelles. 1[1] Par cela même que nous avons reçu ces facultés en partage, nous nous devons de ne pas les négliger, mais au contraire de les cultiver, de manière à les rendre aussi aptes que possible aux diverses fins raisonnables que nous pouvons être appelés à poursuivre. C’est là un devoir indépendant des avantages personnels que nous pouvons obtenir ainsi : la culture de nos dispositions et de nos facultés naturelles tournât-elle en définitive contre notre bonheur, et Rousseau eût-il raison, à ce point de vue, de préférer la nature à la civilisation, cette culture n’en serait pas moins un devoir de l’homme envers lui-même. Les facultés que nous nous devons à nous-mêmes de cultiver sont, ou les facultés de l’esprit, ou celles de l’âme, ou celles du corps. Les premières sont celles qui s’exercent suivant des principes indépendants de l’expérience, et auxquelles nous devons nos sciences rationnelles, les mathématiques, par exemple, ou la logique, ou la métaphysique. Les secondes sont celles au contraire qui suivent le fil de l’expérience, comme la mémoire, l’imagination, le goût Les dernières constituent l’instrument même sans lequel nous ne pourrions agir ni pour suivre aucune fin. Toutes ces facultés ont besoin d’être cultivées, pour acquérir toute leur perfection ; c’est donc le devoir de chacun de nous de les cultiver, afin de n’être pas un membre inutile dans le monde. Mais dans quelle proportion les cultivera-t-on et à laquelle s’attachera-t-on de préférence ? c’est ce qu’il est impossible de déterminer, et ce qu’il faut laisser à chacun le soin de décider raisonnablement, suivant qu’il se sentira du goût et une aptitude spéciale pour tel ou tel genre de vie. La morale në peut ici que poser une maxime générale, sans rien préciser quant aux actions mêmes, à leur na-

  1. 1 §§ 19-20, p. 112-115.