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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


De là la dignité qui s’attache à l’homme. Cette dignité, chacun de nous a le droit d’exiger que les autres, dont à cet égard il s’estime l’égal, la respectent en sa personne ; mais il faut qu’il commence par la respecter en lui-même, en maintenant toujours ferme la conscience de sa valeur morale ou le sentiment de sa dignité. C’est là un devoir de l’homme envers lui-même. Le vice opposé à ce devoir est la fausse humilité, ou encore la servilité 1[1]. Ce n’est pas qu’il faille s’exagérer le sentiment de sa valeur morale au point de tomber dans l’orgueil de la vertu : ce serait là un autre vice. L’homme ne doit point oublier combien sa nature sensible le tient éloigné de cet idéal que sa raison lui fait concevoir, mais qu’il ne saurait réaliser. Quand il se compare à ce modèle sublime, il a sujet d’être humble, et cette humilité-là est sans doute une vertu. Mais il a sujet aussi d’être fier en se voyant capable de concevoir et de poursuivre un idéal si élevé, et l’humilité qui consiste à rabaisser sa propre valeur morale, dans le dessein de capter ainsi la faveur d’un autre, cette fausse hu milité est un vice : c’est un avilissement de la personnalité humaine ; elle est donc contraire au devoir envers soi-même.

Kant traduit en certains préceptes particuliers 2[2] le devoir de dignité qu’il oppose à la fausse humilité et à la servilité :

« Ne soyez point esclaves des hommes. — Ne souffrez pas que vos droits soient impunément foulés aux pieds.— Ne contractez point de dettes pour lesquelles vous n’offririez pas une entière sécurité. — Ne recevez point de bienfaits dont vous puissiez vous passer, et ne soyez ni parasites, ni flatteurs, ni (ce qui ne diffère du précédent vice que par le degré) mendiants. Soyez donc économes, afin de ne pas tomber dans la misère. — Les plaintes et les gémissements, même un simple cri arraché par une douleur corporelle, c’est déjà chose indigne de vous, à plus forte raison si vous avez conscience d’avoir mérité votre peine. Aussi un coupable ennoblit-il sa mort et en efface-t-il la honte par la fermeté avec laquelle il meurt. — L’action de se mettre à genoux ou de se prosterner jusqu’à terre, même pour représenter d’une manière sensible l’adoration des choses célestes, est contraire à la dignité

  1. 1 § 11, p. 96.
  2. 2 § 12, p. 99.