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ANALYSE CRITIQUE


mobiles de ses actions, afin de ne pas s’attribuer un mérite qu’il n’a pas. Soyons en tout sévères avec nous-mêmes : c’est se manquer à soi-même que de chercher à se faire illusion et à se flatter. Ce défaut de sincérité est loin, d’ailleurs, d’être sans importance sur notre conduite extérieure : « Car, comme dit Kant 1[1], une fois le principe de la véracité ébranlé, le fléau de la dissimulation, qui semble avoir ses racines dans la nature humaine, ne tarde pas à se répandre jusque sur nos relations avec les autres hommes. »

Toute l’horreur de notre moraliste pour le mensonge se montre bien dans cette observation : « Il est digne de remar que, dit-il 2[2], que la Bible date le premier crime, par lequel le mal est entré dans le monde, non du fratricide (du meurtre de Caïn), mais du premier mensonge, et qu’elle désigne comme l’auteur de tout mal le menteur primitif, le père des mensonges. »

Les questions casuistiques qui couronnent cet article témoignent, comme celles qu’on a déjà vues, d’une certaine bonhommie qui n’est pas sans sel et d’une extrême rigidité de principes.

Questions casuistiques.

« Peut-on regarder comme un mensonge la fausseté que l’on commet par pure politesse (par exemple le très-obéissant serviteur que l’on écrit au bas d’une lettre) ? Personne n’est trompé par là. — Un auteur demande à un de ses lecteurs : Que pensez-vous de mon ouvrage ? On pourrait bien faire une réponse illusoire, et l’on se moquerait ainsi d’une question aussi insidieuse ; mais qui a toujours la présence d’esprit nécessaire ? La moindre hésitation à répondre est déjà une offense pour l’auteur ; faut-il donc le complimenter de bouche ? » « Si je dis une chose fausse dans des affaires importantes, où le mien et le tien sont en jeu, dois-je répondre de toutes les conséquences qui peuvent en résulter ? Par exemple un maître a ordonné à son domestique de répondre, si quelqu’un venait le demander, qu’il n’est pas à la maison. Le domestique suit cet ordre ; mais il est cause par là que son maître, s’étant évadé, commet un grand crime, ce qu’aurait empêché la force armée envoyée pour l’appréhender. Sur qui retombe

  1. 1 P. 90.
  2. 2 P. 91. — Remarque.