Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
CONSOLATION


douloureux. Quoique de tous les maux la mort soit celui qui l’effraye le plus, il semble pourtant ne pas prendre garde aux exemples que lui en offrent ses concitoyens, à moins que des relations plus étroites n’éveillent particulièrement son attention. Dans les temps où une guerre furieuse ouvre les portes du noir abîme, d’où s’échappent toutes les calamités pour fondre sur l’espèce humaine, on voit quelle froide indifférence inspire à ceux mêmes qui en sont menacés l’aspect habituel de la misère et de la mort ; c’est à ce point qu’ils font peu attention au malheur de leurs frères. Mais, quand, dans le calme et la paix de la vie civile, ceux qui nous touchent de près ou que nous aimons, et qui, ayant devant eux autant ou plus d’espérances que nous-mêmes, poursuivaient leurs desseins et leurs plans avec une égale ardeur, quand, dis-je, ces personnes, frappées par le décret de celui qui est le maître tout-puissant de toutes choses, sont emportées au milieu du cours de leurs efforts, quand la mort s’approche, dans un solennel silence, du lit de souffrance du malade, quand ce géant, devant qui tremble la nature, s’avance d’un pas lent pour l’envelopper dans ses bras de fer, alors il faut bien que la sensibilité se réveille chez ceux qui cherchent à l’endormir au sein des distractions. Une émotion douloureuse fait sortir du fond de notre cœur ce que la foule des Romains accueillit autrefois avec tant d’applaudissements, parce que cela répond à un sentiment universel : Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Un ami ou un parent se dit à lui-même : je me vois engagé dans le tumulte des affaires et dans l’embarras des devoirs de la vie, et mon ami se trouvait aussi il y a peu de temps dans le même cas ; je jouis de la vie tranquillement et sans souci, mais qui sait combien cela durera ? Je me divertis avec mes amis et je cherche parmi eux celui que j’avais l’habitude d’y voir,

Mais l’éternité, d’un bras vigoureux,
  Le retient dans le lieu sombre,
  Qui ne laisse rien échapper.
Qui ne laisse rien échapper. Haller.

Telles sont les graves pensées qu’éveille en moi, madame, la mort prématurée de monsieur votre digne fils, que vous pleurez si justement. Je sens cette perte, comme un de ses