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DE LA MORALE FATALISTE


comme une chose si facile notre réconciliation avec Dieu après la chute. — On ne peut méconnaître ici la bonne intention de l’auteur. Il veut éliminer le remords purement expiatoire et par conséquent stérile, que l’on recommande pourtant si souvent comme étant par lui-même un moyen de réconciliation, et mettre à la place la ferme résolution de mener une meilleure vie. Il cherche à défendre la sagesse et la bonté de Dieu par le progrès de ses créatures vers la perfection et le bonheur éternel, quoiqu’il n’y suive pas la voie ordinaire ; — à ramener la religion de la foi oisive à l’action, et enfin à rendre les peines civiles plus humaines et plus utiles pour le bien particulier comme pour le bien général. — D’ailleurs la hardiesse de ses assertions spéculatives ne paraîtra pas quelque chose de si effrayant à quiconque sait ce que Priestley, ce théologien anglais si estimé autant pour sa piété que pour ses lumières, a soutenu dans le même sens que notre auteur et même a exprimé avec plus de hardiesse, et ce que maintenant encore beaucoup d’ecclésiastiques en Angleterre répètent après lui sans difficulté, quoique avec moins de talent, comment enfin tout récemment M. le professeur Ehlers a défini la liberté de la volonté, la faculté qu’a l’être pensant d’agir toujours conformément à sa disposition actuelle d’esprit[1].

Cependant tout lecteur impartial et surtout suffisamment exercé dans ce genre de spéculation ne manquera pas de remarquer que le fatalisme universel, qui dans cet ouvrage est le principe le plus important et affecte violemment toute la morale (puisqu’il convertit toute action humaine en un pur jeu de marionnettes) détruit entièrement l’idée de l’obligation. Le devoir au contraire ou l’impératif, qui distingue la loi pratique de la loi naturelle, nous transporte en idée tout à fait en dehors de la chaîne de la nature ; car, si nous ne concevions notre volonté comme libre, il serait impossible et absurde, et nous n’aurions plus alors qu’à attendre et à observer les résolutions que Dieu effectuerait en nous par le moyen des causes naturelles, sans que de nous-mêmes nous en pussions ou devions prendre aucune. Une telle doctrine produit natu-

  1. Vermögen des denkenden Wesens, seiner jedesmaligen Ideenlage gemäss zu handeln.