Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xxii
ANALYSE CRITIQUE


dans un écrit trouvé après sa mort, de ne pas causer, dans les transports de la rage dont il éprouve déjà les premiers accès, le malheur d’autres hommes ; on demande s’il fait bien d’agir ainsi 1[1]. »

De l’impudicité.

« De même que l’amour de la vie nous a été donné par la nature pour notre conservation personnelle, de même l’amour du sexe a été mis en nous pour la conservation de l’espèce 2[2]. » Telles sont, en effet, les deux fins qu’elle poursuit par le moyen de ces deux penchants. La doctrine du droit a établi que l’homme et la femme ne pouvaient légitimement se servir l’un de l’autre pour se procurer le plaisir qui naît de l’union des sexes, qu’à la condition de s’être d’abord liés l’un à l’autre, pour le reste de leur vie, par ce contrat qu’on appelle le mariage 3[3]. Il s’agit ici de savoir si la morale individuelle n’a pas aussi quelque défense à nous faire au sujet de nos facultés sexuelles, ou si nous pouvons, sans manquer à un devoir envers nous-mêmes, user de ces facultés pour le seul plaisir physique et sans égard au but pour lequel elles nous ont été données. Parle-t-on d’abord de cet abus des organes sexuels qui constitue un vice contre nature : il est tellement contraire au respect que l’homme se doit à lui-même, il est si honteux, il souille à tel point l’humanité qu’il n’est pas même permis de le nommer. On ne rougit pas cependant de nommer le suicide. C’est que rejeter fièrement sa vie comme un fardeau, ce n’est pas du moins s’abandonner lâchement aux inclinations animales ; mais cette action exige un certain courage qui témoigne encore en faveur de l’humanité. Au contraire celui qui se livre au vice dont nous parlons ici, fait de sa personne

  1. 1 Il y a encore une question : elle est relative à la vaccine. Je la supprime parce qu’elle n’a plus d’intérêt pour nous, et que la perspicacité de notre philosophe, si remarquable en d’autres occasions, se trouve ici en défaut. L’admirable découverte de Jenner commençait alors à se répandre dans le monde, mais, comme toutes les grandes innovations, elle avait à lutter contre les préjugés et la routine. On est étonné de voir Kant se ranger de ce côté.
  2. 2 §7, p. 79.
  3. 3 Voyez Doctrine du droit, trad. franç., p. 112-116, et p. 242-243, et mon Analyse critique de cet ouvrage, p. xlii.