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ANALYSE CRITIQUE


division des devoirs envers nous-mêmes ; mais puisque, toute question de substance à part, le sujet du devoir, l’homme se considère soit comme un être animal en même temps que moral, soit simplement comme un être moral, il y a lieu de rechercher quels sont les devoirs de l’homme à ces deux points de vue différents. Et comme au point de vue de notre animalité, il faut distinguer trois espèces de penchants de la nature : le premier qui se rapporte à la conservation de nous-mêmes, le second à celle de notre espèce, et le troisième à l’entretien de nos forces et aux jouissances de la vie animale qui en sont les moyens, il y a à distinguer aussi trois devoirs auxquels sont opposés trois vices : le suicide, l’impudicité, l’intempérance. Les devoirs dont il s’agit ici étant purement négatifs, Kant dirige contre les vices qui leur sont opposés les articles qu’il leur consacre, et c’est sous ce titre même qu’il les expose.

Du suicide.

On peut considérer le suicide 1[1] comme une transgression de nos devoirs envers les autres hommes, puisque par là on se soustrait à toutes les obligations de la société, ou bien encore comme une transgression de nos devoirs envers Dieu, en ce sens que l’homme abandonne ainsi, sans en avoir été relevé, le poste que Dieu lui a confié en ce monde ; mais la question ici est de savoir s’il est une violation du devoir envers soi-même. Indépendamment de toute considération de devoirs sociaux ou religieux, ne suis-je pas obligé de conserver ma vie par cela seul que je suis une personne ? N’y a-t-il pas là un devoir envers soi-même, et même un devoir strict ? Il semble que la question posée ainsi doive être résolue négativement, en vertu du principe volenti non fit injuria ; il paraît absurde que l’on puisse se faire une offense à soi-même. Aussi les stoïciens pensaient-ils que, dès que l’homme reconnaît qu’il ne peut plus être utile à rien en ce monde, il lui est permis de sortir tranquillement de la vie comme on sort d’une chambre pleine de fumée. C’était là, selon eux, une prérogative de sa personnalité. Mais, selon Kant, c’est justement cette personnalité qui aurait dû leur faire repousser le suicide. Plus l’homme se sent capable de braver la mort et re-

  1. 1 $ 6, p. 76.