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PÉDAGOGIE.

Pendant les trois premiers mois environ de leur première année, les enfants n’ont pas la vue formée. Ils ont bien la sensation de la lumière, mais ils ne peuvent pas distinguer les objets les uns des autres. Il est facile de s’en convaincre en leur montrant quelque chose de brillant : ils ne le suivent pas des yeux. Avec la vue se développe aussi la faculté de rire et de pleurer. Or, lorsque l’enfant est parvenu à cet état, il crie avec réflexion, si obscure que soit encore cette réflexion. Il pense toujours qu’on veut lui faire du mal. Rousseau remarque que, quand on frappe dans la main d’un enfant qui n’est âgé que d’environ six mois, il crie comme si un tison ardent lui était tombé sur la main. Il y joint déjà réellement une idée d’offense. Les parents parlent ordinairement beaucoup de briser la volonté de leurs enfants. Mais on n’a pas besoin de briser leur volonté quand on ne les a pas gâtés d’abord. Or la première origine du mal, c’est de se faire l’esclave de leur volonté et de leur laisser croire qu’ils peuvent tout obtenir par leurs cris. Il est plus tard extrêmement difficile de réparer ce mal, et à peine y parvient-on. On peut bien faire que l’enfant se tienne tranquille, mais il dévore sa douleur et n’en nourrit que mieux intérieurement sa colère. On l’habitue par là à la dissimulation et aux émotions intérieures. Il est par exemple très-étrange que des parents, après avoir battu de verges leurs enfants, exigent que ceux-ci leur baisent les mains. On leur fait ainsi une habitude de la dissimulation et de la fausseté. Les verges ne sont pas un si beau cadeau, pour que l’enfant en témoigne beaucoup de reconnaissance, et il est aisé de penser de quel cœur il baise alors la main qu’on lui présente.

On se sert ordinairement de lisières et de roulettes pour apprendre aux enfants à marcher. Mais n’est-il pas singulier de vouloir apprendre à marcher à un enfant ! Comme si un homme ne pouvait marcher sans instruction. Les lisières sont surtout très-dangereuses. Un écrivain s’est plaint autrefois de l’étroitesse de sa poitrine qu’il attribuait uniquement aux lisières ; car, comme un enfant saisit tout et ramasse tout, il s’appuie de la poitrine sur ses lisières. Mais, comme elle n’est pas encore large, elle s’aplatit et conserve ensuite cette forme. Avec tous ces moyens les enfants n’apprennent pas à marcher aussi sûrement que s’ils l’apprenaient d’eux-mêmes. Le