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DE L’ÉDUCATION PHYSIQUE.


les empêcher de crier. Mais les cris leur sont salutaires. En sortant du sein maternel, où ils n’ont joui d’aucun air, ils respirent leur premier air. Or le cours du sang modifié par là produit en eux une sensation douloureuse. Mais par leurs cris ils facilitent le déploiement des parties intérieures et des canaux de leurs corps. On rend un très-mauvais service aux enfants en cherchant à les apaiser aussitôt qu’ils crient, par exemple en leur chantant quelque chose, comme les nourrices ont l’habitude de le faire, etc. C’est là ordinairement la première dépravation de l’enfant ; car, quand il voit que tout cède à ses cris, il les répète plus souvent.

On peut dire avec vérité que les enfants des gens ordinaires sont beaucoup plus mal élevés que ceux des grands ; car les gens ordinaires jouent avec leurs enfants comme les singes. Ils chantent devant eux, ils les embrassent, ils les baisent, ils dansent avec eux. Ils pensent donc agir dans leur intérêt en courant à eux aussitôt qu’ils crient, en les faisant jouer, etc. ; mais les enfants n’en crient que plus souvent. Quand au contraire on ne s’occupe pas de leurs cris, ils finissent par ne plus crier. Il n’y a personne en effet qui se donne volontiers une peine inutile. Si on les accoutume à voir tous leurs caprices satisfaits, il sera ensuite trop tard pour tenter de briser leur volonté. Qu’on les laisse crier, ils en seront bientôt fatigués eux-mêmes. Mais si l’on cède à tous leurs caprices dans la première jeunesse, on perd par la leur cœur et leurs mœurs.

L’enfant n’a sans doute encore aucune idée des mœurs ; mais on gâte ses dispositions naturelles en ce sens qu’il faut ensuite lui appliquer de très-dures punitions afin de réparer le mal. Lorsque l’on veut plus tard déshabituer les enfants de voir tous leurs caprices aussitôt satisfaits, ils montrent dans leurs cris une rage dont on ne croirait capables que de grandes personnes, et qui ne reste sans effet que parce que les forces leur manquent. Tant qu’ils n’ont qu’à crier pour obtenir tout ce qu’ils veulent, ils dominent en vrais despotes. Quand cesse cette domination, ils en sont tout naturellement contrariés. Et lorsque même de grandes personnes ont été longtemps en possession d’une certaine puissance, n’est-ce pas pour elles une chose pénible que de se voir tout à coup forcées de s’en déshabituer ?