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INTRODUCTION.


rement approuvées par chacun, et qui peuvent être en même temps des fins pour chacun.


On peut ou bien dresser, façonner, instruire l’homme d’une manière toute mécanique, ou bien l’éclairer véritablement. On dresse des chevaux, des chiens, et l’on peut aussi dresser[1] des hommes.

Il ne suffit pas de dresser les enfants ; il importe surtout qu’ils apprennent à penser. Il faut avoir en vue les principes d’où dérivent toutes les actions. On voit donc combien de choses exige une véritable éducation. Mais dans l’éducation privée la quatrième condition, qui est la plus importante, est ordinairement assez négligée ; car on enseigne aux enfants ce que l’on regarde comme essentiel, et l’on abandonne au prédicateur la moralisation. Cependant combien n’est-il pas important d’apprendre aux enfants à haïr le vice, non pas pour cette seule raison que Dieu l’a défendu, mais parce qu’il est méprisable par lui-même ! Autrement ils s’y laissent aisément entraîner en pensant que cela pourrait bien être permis si Dieu ne l’avait pas défendu, et qu’il peut bien faire une exception en leur faveur. Dieu, qui est l’être saint par excellence, ne veut que ce qui est bon : il veut que nous pratiquions la vertu à cause d’elle-même et non parce qu’il l’exige.

Nous vivons dans une époque de discipline, de culture et de civilisation, mais qui n’est pas encore celle de la moralisation. Dans l’état actuel des choses on peut dire que le bonheur des États croît en même temps que le malheur des hommes. Et c’est encore une question de savoir si nous ne serions pas plus heureux dans l’état barbare, où toute la culture qui est chez nous n’existe pas, que dans notre état actuel. Car comment peut-on rendre les hommes heureux, si on ne les rend moraux et sages ? La quantité du mal n’en sera pas diminuée.

  1. Dressiren. — « Ce mot, — ajoute Kant, dans une parenthèse qui figurera mieux ici que dans le texte, — vient de l’anglais, de to dress, kleiden (habiller). Aussi appelle-t-on Dresskammer et non Trostkammer le lieu où les prédicateurs changent d’habits. »