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PÉDAGOGIE.

L’espèce humaine est obligée de tirer peu à peu d’elle-même par ses propres efforts toutes les qualités naturelles qui appartiennent à l’humanité. Une génération fait l’éducation de l’autre. On en peut chercher le premier commencement dans un état sauvage ou dans un état parfait de civilisation ; mais, dans ce second cas, il faut encore admettre que l’homme est retombé ensuite à l’état sauvage et dans la barbarie.

La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination, de l’humanité, par ses penchants brutaux. Il faut, par exemple, qu’elle le modère, afin qu’il ne se jette pas dans le danger comme un farouche ou un étourdi. Mais la discipline est purement négative, car elle se borne à dépouiller l’homme de sa sauvagerie ; l’instruction au contraire est la partie positive de l’éducation.

La sauvagerie est l’indépendance à l’égard de toutes les lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. Ainsi, par exemple, on envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront.

Mais l’homme a naturellement un si grand penchant pour la liberté, que quand on lui en laisse prendre d’abord une longue habitude, il lui sacrifie tout. C’est précisément pour cela qu’il faut de très bonne heure, comme je l’ai déjà dit, avoir recours à la discipline, car autrement, il serait très difficile de changer ensuite son caractère. Il suivra alors tous ses caprices. On ne voit pas que les sauvages s’accoutument jamais à la manière de vivre des Européens, si longtemps qu’ils restent à leur service. Ce n’est pas chez eux, comme Rousseau et d’autres le pensent, l’effet d’un noble penchant pour la liberté, mais une certaine rudesse, qui vient de ce qu’ici l’homme ne s’est pas encore en quelque sorte dégagé de l’animal. Nous devons donc nous accoutumer de bonne heure à nous soumettre aux préceptes de la raison. Quand on a laissé l’homme faire toutes ses volontés pendant sa jeunesse et qu’on ne lui a jamais résisté en rien, il conserve une certaine sauvagerie pendant toute la durée de sa vie. Il ne lui sert de rien