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DOCTRINE DE LA VERTU


que Dieu a créé des êtres raisonnables comme par besoin d’avoir en dehors de lui quelque chose qu’il pût aimer ou même dont il pût être aimé. Mais la justice de Dieu, considéré comme punisseur, lui donne sur nous, au jugement de notre propre raison, un droit qui n’est pas seulement aussi grand que le principe précédent, mais qui lui est même supérieur (car c’est un principe restrictif). — En effet la récompense (præmium, remuneratio gratuita), du côté de l’Être suprême, ne peut être considérée comme émanant de sa justice à l’égard d’êtres qui n’ont que des devoirs et n’ont pas de droits vis-à-vis de lui, mais seulement de l’amour et de la bonté (benignitas) : — à plus forte raison ne peut-il y avoir de droit à une rémunération[1] (merces) de la part d’un tel Être, et une justice rémunératrice (justitia brabeutica) est, dans le rapport de Dieu aux hommes, une contradiction.

xxIl y a pourtant, dans l’idée de la justice exercée par un Être dont les fins sont placées au-dessus de toute atteinte, quelque chose qui ne s’accorde pas bien avec le rapport de l’homme à Dieu : c’est à savoir celle d’une lésion qui pourrait être faite au Maître infini et inaccessible du monde ; car il ne s’agit plus là de ces violations du droit que les hommes commettent entre eux et sur lesquelles Dieu prononce comme un juge chargé de punir, mais d’une atteinte portée à Dieu lui-même et à son droit, c’est-à-dire de quelque chose dont le concept est transcendant, ou placé au-dessus de l’idée de toute justice pénale, telle que nous en pouvons trouver quelque exemple (telle qu’elle existe parmi les hommes), et dont les principes transcendants ne peuvent s’accorder avec ceux que nous appliquons dans les divers cas de la vie, et par conséquent sont tout à fait vides pour notre raison pratique.
xxL’idée d’une justice pénale divine est ici personnifiée. Or ce n’est point un être particulier qui exerce cette justice (car alors il y aurait contradiction entre cet être et les principes du droit) ; mais c’est la Justice en substance, pour ainsi dire (qu’on appelle aussi l’éternelle Justice), laquelle, comme le Fatum (le Destin) des anciens poètes philosophes,
  1. Anspruch auf Lohn.