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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.

aussi de la conscience, qu’il définit 1[1] : « La raison pratique représentant à l’homme son devoir dans tous les cas où s’applique la loi morale, afin de l’absoudre ou de le condamner. » Ce n’est pas là une faculté que l’on puisse acquérir : tout homme la possède naturellement par cela même qu’il est un être moral. Quand on dit de quelqu’un qu’il n’a pas de conscience, cela signifie seulement qu’il a l’habitude de ne tenir aucun compte de ses arrêts. Il n’y a donc pas lieu d’admettre un devoir qui prescrive à l’homme d’avoir de la conscience : dire qu’on est obligé d’avoir de la conscience reviendrait à dire qu’on a le devoir de reconnaître des devoirs. Si, absolument parlant, il n’y a jamais dans l’homme absence de conscience, il n’y a pas non plus de conscience erronée ; cela est un non-sens. On peut bien se tromper sur la question de savoir si une chose est ou non un devoir, mais non pas sur l’existence du jugement porté par la conscience. Or, dès que j’agis suivant ma conscience, on n’a rien de plus à me demander, au point de vue de mon innocence ou de ma culpabilité. Mais il y a une chose qui dépend de nous : c’est d’éclairer notre intelligence sur ce qui est ou non notre devoir, de donner toute notre attention à la voix de ce juge qui siège en nous, et d’employer tous les moyens pour le bien entendre. C’est cela qui s’appelle cultiver sa conscience, et c’est cela aussi, et cela seulement, qui est un devoir pour nous.

De l’amour des hommes.

L’amour des hommes est encore une de ces dispositions subjectives qu’on ne peut ériger en devoirs, mais que la morale ordonne de cultiver. L’amour n’est point une chose volontaire, car c’est une chose de sentiment. On ne saurait donc en faire un devoir. Il y a d’ailleurs contradiction entre ces deux mots : amour et devoir. L’idée du devoir implique celle d’une contrainte, sinon toujours d’une contrainte extérieure, au moins d’une violence qu’on se fait à soi-même. L’amour, au contraire, est un penchant naturel auquel nous trouvons du plaisir à nous abandonner. Le devoir n’est donc pas ici d’aimer les hommes, mais de leur faire du bien. Ce devoir est tout à fait indépendant des sentiments qu’on peut avoir à leur égard. « Il ne perdrait rien de son importance, dit

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