Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
x
ANALYSE CRITIQUE

Des prédispositions naturelles de l’âme relativement aux idées morales.

Après avoir marqué, comme on vient de le voir, la distinction qu’il établit entre les devoirs de droit et ceux de vertu, Kant entreprend de déterminer les dispositions naturelles qui rendent l’âme propre à recevoir l’influence des idées de devoir 1[1]. Ces dispositions existent nécessairement chez tous les hommes, et celui qui ne les posséderait pas ne pourrait être obligé de les acquérir ; mais si ce ne peut être un devoir de les posséder, c’en est un du moins de les cultiver et de les développer.

Du sentiment moral.

La première de ces dispositions est le sentiment moral. Elle consiste dans la capacité que nous avons d’éprouver un plaisir ou une peine résultant de la conscience de l’accord ou du désaccord de notre action avec la loi du devoir. L’expression de sens moral sous laquelle on la désigne souvent est impropre, car le mot sens indique en général une faculté de perception, tandis que, dans le cas présent, il s’agit d’un phénomène purement subjectif, qui ne donne aucune connaissance. Le seul nom qui lui convienne est celui de sentiment moral. Il importe de ne pas se méprendre sur l’origine de ce sentiment : loin d’être le principe de la conception de la loi, il en est l’effet. Kant ajoute qu’il est universel. « Il n’y a point d’homme, dit-il 2[2], dépourvu de tout sentiment moral ; car, si quelqu’un en était entièrement privé, il n’existerait pas moralement ; et si, pour appliquer à la morale le langage de la médecine, la force vitale qui est en elle n’avait plus la vertu d’exciter ce sentiment, alors l’humanité se résoudrait (comme par des lois chimiques) en pure animalité, et se confondrait sans retour avec la masse des autres êtres physiques. » Il suit de là qu’on ne peut pas dire que ce soit un devoir pour l’homme de posséder ou d’acquérir le sentiment moral : chacun le porte originairement en soi ; mais chacun aussi est obligé de le cultiver, afin de le fortifier toujours davantage. Or il suffit pour cela de travailler à le dégager de tout alliage étranger et à le ramener à sa pure origine.

De la conscience.

Ce que Kant vient de dire du sentiment moral, il le dit

    les devoirs intérieurs de vertu ; joignez à celle de la fin d’autrui l’idée d’un mobile tiré de cette fin même, vous avez les devoirs extérieurs.

  1. 1 XII, p.48.
  2. 2 P. 44.