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DEVOIRS ENVERS LES AUTRES HOMMES.


rions de la reconnaissance que comme d’un moyen pour d’autres fins personnelles ; mais elle est une nécessité immédiatement imposée par la loi morale.

En outre, la reconnaissance doit être spécialement considérée comme un devoir saint[1], c’est-à-dire comme un devoir dont la violation (en offrant un exemple scandaleux) peut détruire dans son principe même le mobile moral qui nous invite à la bienfaisance. En effet, on appelle saint tout objet moral à l’égard duquel aucun acte ne saurait acquitter entièrement l’obligation contractée (où l’obligé reste toujours obligé). Tout autre devoir est un devoir ordinaire[2]. — Il n’y a aucun moyen de s’acquitter d’un bienfait reçu, parce que celui qui le reçoit ne peut refuser à celui qui l’accorde le mérite et l’avantage d’avoir été le premier à témoigner sa bienveillance. – Mais aussi, même sans aucun acte extérieur (de bienfaisance), la simple bienveillance de cœur à l’égard d’un bienfaiteur est déjà une espèce de reconnaissance. On appelle gratitude[3] un sentiment de ce genre.

Quant à ce qui est de l’extension de la reconnaissance, cette vertu ne s’applique pas seulement aux contemporains, mais aussi aux ancêtres, même à ceux qu’on ne peut signaler avec certitude. C’est aussi la raison pour laquelle on regarde comme une chose convenable de défendre, autant que possible, les anciens qui peuvent passer pour nos maîtres, contre les attaques, les accusations et les mépris dont ils sont souvent l’objet. En revanche, c’est pure sottise que de

  1. Heilige.
  2. Gemeine.
  3. Erkenntlichkeit.