Jusqu’à quel point faut-il consacrer ses moyens à la bienfaisance ? Ce ne doit pas être au moins jusqu’au point de finir par avoir besoin soi-même de la bienfaisance des autres. — Quel est le prix d’un bienfait qui vient d’une main mourante (que lègue par testament un homme qui est sur le point de sortir de ce monde) ? — Celui qui se sert du pouvoir que lui accorde la loi du pays pour enlever à quelqu’un (à un serf de la glèbe) la liberté d’être heureux à sa manière, peut-il se considérer comme son bienfaiteur, lorsqu’il en prend un soin en quelque sorte paternel, d’après ses propres idées sur le bonheur qui lui convient ? Ou plutôt l’injustice qui consiste à priver quelqu’un de sa liberté n’est-elle pas quelque chose de si contraire au devoir de droit en général que celui qui consent librement à se livrer à un maître, en comptant sur sa bienfaisance, abdique au plus haut degré sa dignité d’homme, et que les soins les plus empressés de son maître pour lui ne peuvent passer pour de la bienfaisance ? Ou bien le mérite de ces soins peut-il être si grand qu’il contrebalance la violation du droit de l’humanité ? — Je ne dois point faire du bien aux autres (sinon aux enfants et aux fous), d’après l’idée que je me fais moi-même du bonheur, mais au contraire consulter celles de tous ceux à l’égard desquels je veux me montrer bienfaisant ; ce n’est pas être réellement bienfaisant à l’égard de quelqu’un, que de lui imposer un bienfait.
La faculté d’être bienfaisant, qui dépend des biens de la fortune, est en grande partie une conséquence