Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
vii
DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


les pratiquer par respect pour le droit et non par crainte des lois extérieures ; mais ce ne sont pas pour cela des devoirs de vertu. Ceux-ci ne concernent pas seulement la forme des maximes de nos actions, mais ils portent sur la matière même de ces maximes, c’est-à-dire sur certaines fins qu’ils nous prescrivent de poursuivre ; et, comme ces fins sont diverses, il y a, quoique la vertu soit une en un sens, plusieurs devoirs de vertu. Ces devoirs sont toujours d’obligation large, parce qu’en nous ordonnant de poursuivre certaines fins, ils ne nous prescrivent pas d’actes déterminés, mais seulement une maxime à suivre qui nous laisse une certaine latitude. Kant formule ainsi le principe de la doctrine de la vertu : « Agis toujours suivant une maxime dont chacun puisse se proposer les fins d’après une loi générale 1[1]. » Il le tire de la raison pure pratique au moyen de la déduction suivante : La raison étant la faculté de concevoir des fins, toute fin qui peut être conçue suivant une loi générale est une fin pour elle, et dès lors devient un devoir.

Que le principe de la doctrine de la vertu est synthétique, tandis que celui du droit est analytique.

Il est facile aussi de conclure de la distinction établie que le principe de la doctrine de la vertu est synthétique, tandis que celui de la doctrine du droit est analytique 2[2]. Celle-ci ne faisant qu’exprimer l’accord de la liberté avec elle-même, il n’est pas besoin, pour la concevoir, de sortir de l’idée même de la liberté : la contrainte extérieure à laquelle la liberté est ici soumise n’est autre chose que l’obstacle opposé à son propre obstacle ; le principe du droit est donc analytique. Mais la doctrine de la vertu, en nous faisant de certaines fins des devoirs, ajoute à l’idée de la liberté quelque chose qui n’y est pas implicitement contenu, et par conséquent son principe est synthétique 3[3].

  1. 1 P.38.
  2. 2 X, p.39.
  3. 3 Kant ajoute ici un tableau de ce qu’il appelle le schème des devoirs de vertu. Le lecteur le trouvera fidèlement reproduit dans ma traduction (p. 62). En voici l’analyse : la perfection personnelle et le bonheur d’autrui, ces deux fins, dont l’une concerne l’individu et l’autre regarde ses semblables, constituent la matière des devoirs de vertu ; la forme réside dans la loi, qui doit aussi servir de mobile, d’où naît la moralité, et dans la fin dont il s’agit aussi de faire un mobile, d’où naît la légalité. Joignez l’idée de la loi, prise pour mobile, à celle de la fin personnelle, vous avez