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DEVOIRS ENVERS LES AUTRES HOMMES.

Mais l’un me touche de plus près que l’autre, et celui qui me touche de plus près en fait de bienveillance, c’est moi-même. Or comment cela s’accorde-t-il avec la formule : Aime ton prochain (ton semblable) comme toi-même ? Si l’un me touche de plus près que l’autre (dans le devoir de la bienveillance), je suis donc obligé à une plus grande bienveillance envers l’un qu’envers l’autre ; et, comme je suis continuellement plus près de moi-même (même au point de vue du devoir) que tout autre, je ne puis dire, à ce qu’il semble, sans me contredire, que je dois aimer chaque homme comme moi-même ; car la mesure de l’amour de soi ne laisserait aucune différence dans le degré. — On voit tout de suite qu’il ne s’agit pas ici seulement de cette bienveillance qui se borne au désir de voir les autres heureux et qui n’est proprement que la satisfaction que nous cause le bonheur d’autrui, sans même que nous ayons besoin d’y contribuer (chacun pour soi, Dieu pour tous), mais de cette bienveillance active et pratique, qui consiste à se proposer pour but le bonheur d’autrui (ce qu’on appelle la bienfaisance). En effet, dans le désir, je puis vouloir également du bien à tous ; mais dans l’action, sans violer l’universalité de la maxime, le degré peut être fort différent, suivant la différence des personnes aimées (dont l’une me touche de plus près que l’autre).