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DOCTRINE DE LA VERTU


cette valeur à un très-haut degré, c’est ce que l’on peut appeler l’orgueil de la vertu[1] (arrogantia moralis). — Rejeter toute prétention à quelque valeur morale que ce soit, dans l’espoir d’acquérir par là une valeur cachée, c’est une fausse humilité morale (humilitas moralis spuria) ou une bassesse d’esprit[2].

L’humilité qui consiste à faire peu de cas de soi-même en se comparant avec les autres hommes (même avec tout être fini en général, fût-ce un ange) n’est pas un devoir ; bien au contraire tenter d’égaler les autres, ou même de les surpasser dans ce genre d’humilité, en se persuadant qu’on acquérera ainsi une plus grande valeur morale, c’est là une ambition[3] (ambitio) qui est directement contraire au devoir envers autrui. Mais rabaisser sa propre valeur morale, dans le dessein de se servir de ce moyen pour obtenir la faveur d’un autre (quel qu’il soit), cette action (l’hypocrisie et la flatterie[4]) est une fausse (une feinte) humilité, et, comme elle est un avilissement de la personnalité, elle est contraire au devoir envers soi-même.

  1. Tugendstolz.
  2. Geistliche Kriecherei.
  3. Hochmuth.
  4. Heuchelei und Schmeichelei. Il y a ici sur l’étymologie de ces mots une note qu’on ne saurait traduire en français, à moins de conserver dans la traduction les expressions allemandes sur lesquelles elle porte, et c’est ce que je vais faire, en ayant soin seulement de les expliquer entre parenthèses :
    « Heucheln (proprement häucheln) [en français, faire l’hypocrite] semble dérivé de ächzenden, die Sprache unterbrechenden Hauch (Stoszseufzer) [c’est-à-dire soupir entrecoupé] ; et schmeicheln [flatter], de schmiegen [plier], ce qui, comme habitude, a été appelé schmiegeln, et enfin par le haut allemand schmeicheln. »