Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
DEVOIRS ENVERS SOI-MÊME.

La condamnation de ce vice peut servir d’exemple pour montrer clairement combien il est inexact de définir les vertus ainsi que les vices par le simple degré, et combien est oiseux le principe d’Aristote, que la vertu consiste à tenir le milieu entre deux vices.

Si en effet je considérais la bonne économie domestique[1] comme un juste milieu entre la prodigalité et l’avarice, et que ce milieu fût déterminé par le degré, on ne pourrait aller d’un vice au vice contraire (contrarie opposito) qu’en passant par la vertu ; celle-ci ne serait plus alors qu’un vice diminué ou plutôt un vice défaillant, et la conséquence serait que, dans le cas présent, le véritable devoir de vertu consisterait à ne faire aucun usage des moyens de jouir de la vie.

Ce n’est pas la mesure de la pratique des maximes morales, mais leur principe objectif qu’il faut prendre pour critérium, quand on veut distinguer un vice de la vertu. – La maxime de la cupidité prodigue[2] est de ne se procurer tous les moyens de bien vivre qu’en vue de la jouissance. — Celle de l’avarice[3] est au contraire d’acquérir et de conserver tous ces moyens, en se proposant uniquement pour but la possession et en s’interdisant la jouissance.

Le caractère propre de cette dernière espèce de vice est ce principe arrêté de posséder les moyens d’arriver à toutes sortes de fins, mais à la condition de renoncer à faire usage d’aucun, et de se priver de tout ce qui peut rendre la vie agréable et douce : ce qui

  1. Die gute Wirthschaft.
  2. Der verschwenderischen Habsucht.
  3. Des kargen Geizes.