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DEVOIRS ENVERS SOI-MÊME.

REMARQUE.
Il est digne de remarque que la Bible date le premier crime par lequel le mal est entré dans le monde, non du fratricide (du meurtre de Caïn), mais du premier mensonge (parce que la nature même se soulève contre ce crime), et qu’elle désigne comme l’auteur de tout mal le menteur primitif, le père des mensonges. La raison ne peut d’ailleurs donner aucune autre explication de ce penchant de l’homme à la fourberie[1], qui doit pourtant avoir précédé. C’est qu’on ne saurait déduire et expliquer un acte de la liberté (comme un effet physique) par la loi naturelle de l’enchaînement des effets et des causes, qui sont des phénomènes.


Questions casuistiques.


Peut-on regarder comme un mensonge la fausseté que l’on commet par pure politesse (par exemple, le très-obéissant serviteur que l’on écrit au bas d’une lettre) ? Personne n’est trompé par là. — Un auteur demande à un de ses lecteurs : Que pensez-vous de mon ouvrage ? On pourrait bien faire une réponse illusoire, et l’on se moquerait ainsi d’une question aussi insidieuse, mais qui a toujours la présence d’esprit nécessaire ? La moindre hésitation à répondre est déjà une offense pour l’auteur ; faut-il donc le complimenter de bouche ?

Si je dis une chose fausse dans des affaires importantes, où le mien et le tien sont en jeu, dois-je répondre de toutes les conséquences qui peuvent en résulter ? Par exemple, un maître a ordonné à son

  1. Gleisnerei. Kant traduit lui-même (entre parenthèses) cette expression allemande par les mots français esprit fourbe.