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DOCTRINE DE LA VERTU

sance, est voisin de l’abrutissement ; car, dans ce bien-être imaginaire qu’il leur apporte, il rend les hommes muets, taciturnes, concentrés ; il n’est donc permis qu’à titre de remède. — Le mahométisme, qui interdit absolument le vin, a été par conséquent très-malavisé, en permettant l’opium.

Les banquets, tout en nous invitant formellement à l’intempérance dans les deux espèces de jouissance dont il s’agit ici, ont pourtant, outre l’agrément purement physique qu’ils procurent, quelque chose qui tend à une fin morale, à savoir de retenir ensemble un certain nombre d’hommes et d’entretenir entre eux une longue communication. Toutefois, comme une grande réunion d’hommes (quand elle dépasse le nombre des muses, comme dit Chesterfield) ne permet guère de communiquer entre soi (sinon avec ses plus proches voisins), et que par conséquent les moyens vont ici contre la fin, il y a toujours là une excitation à l’immoralité, c’est-à-dire à l’intempérance et à l’oubli du devoir envers soi-même. Je ne parle pas des incommodités physiques qui pourraient résulter pour nous des excès de la table et dont les médecins nous guériraient peut-être. Jusqu’où s’étend la faculté morale de céder à ces invitations à l’intempérance ?