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DEVOIRS ENVERS SOI-MÊME.


cide est une violation du devoir envers soi-même, si, même en laissant de côté toutes les autres considérations, l’homme est obligé de conserver sa vie par cela seul qu’il est une personne, et s’il doit reconnaître là un devoir (et même un devoir strict) envers lui-même.

Il semble absurde que l’homme puisse se faire une offense à lui-même (volenti non fit injuria). Aussi le stoïcien regardait-il comme une prérogative de sa personnalité (de la personnalité du sage) de pouvoir sortir à son gré et tranquillement de la vie (comme on sort d’une chambre pleine de fumée), sans y être poussé par aucun mal présent ou à venir, mais par cette seule raison qu’il ne peut plus être utile à rien en ce monde. — Mais ce courage, cette force d’âme qui nous fait braver la mort et nous révèle quelque chose que l’homme peut estimer encore plus que la vie, aurait dû être pour lui une raison d’autant plus forte de ne pas détruire en lui un être doué d’une puissance si grande, si supérieure aux mobiles sensibles les plus puissants, et par conséquent de ne pas se priver de la vie.

L’homme ne peut abdiquer sa personnalité tant qu’il y a des devoirs pour lui, et par conséquent tant qu’il vit ; et il y a contradiction à lui accorder le droit de s’affranchir de toute obligation, c’est-à-dire d’agir aussi librement que s’il n’avait besoin pour cela d’aucune espèce de droit. Anéantir dans sa propre personne le sujet de la moralité, c’est extirper du monde, autant qu’il dépend de soi, l’existence de la moralité même, laquelle est pourtant une fin en soi ; par conséquent disposer de soi comme d’un pur instrument pour une fin arbitraire, c’est rabaisser l’humanité dans sa