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DOCTRINE DE LA VERTU


grand et même le seul véritable titre de gloire[1]. C’est proprement la sagesse, la sagesse pratique, car elle consiste à se donner pour but le but final de l’existence des hommes sur la terre. — Ce n’est qu’en la possédant que l’homme est libre, sain, riche, roi, etc., et n’a rien à craindre ni du hasard, ni du destin : il se possède lui-même, et l’homme vertueux ne peut perdre sa vertu.

On fait bien de vanter l’idéal de l’humanité considérée dans sa perfection morale, et tous les exemples du contraire que l’on oppose, en alléguant ce que les hommes sont maintenant, ce qu’ils ont été, ou ce qu’ils seront probablement dans l’avenir, ne peuvent rien ôter à la réalité pratique de cet idéal. L’anthropologie, qui se fonde uniquement sur des connaissances empiriques, ne saurait porter la moindre atteinte à l’anthroponomie[2], qui dérive d’une raison dictant des lois absolues ; et, quoique la vertu (dans son rapport aux hommes et non à la loi) puisse aussi çà et là être appelée méritoire et jugée digne d’une récompense, il faut pourtant, de même qu’elle est sa propre fin, la considérer comme étant à elle-même sa propre récompense.

Quand on considère la vertu dans toute sa perfection, on ne se la représente donc pas comme une chose que l’homme possède, mais comme une chose qui possède l’homme ; car dans le premier cas il semblerait que l’homme ait eu le choix (auquel cas il aurait encore besoin d’une autre vertu pour préférer la vertu à

  1. Kriegsehre, littéralement, gloire guerrière.
  2. C’est le mot même dont Kant se sert ; je le laisse tel qu’il est. J. B.