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ANALYSE CRITIQUE


duit ! etc. 1[1]. parler ainsi aux enfants n’est pas le moyen de leur inspirer de nobles sentiments… L’esprit d’émulation mal appliqué ne produit que l’envie. Le cas ou l’émulation pourrait servir à quelque chose serait celui où l’on voudrait persuader à quelqu’un qu’une chose est praticable, comme, par exemple, quand j’exige d’un enfant une certaine tâche et que je lui montre que les autres ont pu la remplir. » Pour la même raison il faut combattre chez les enfants toute fierté qui n’a d’autre motif que les avantages de la fortune. On ne souffrira donc jamais qu’un enfant en humilie un autre, parce qu’il est né de parents plus riches 2[2]. Il y a un excellent moyen de le punir en pareil cas et de le corriger de cette fausse fierté, c’est de l’humilier à son tour 3[3]. « Si, par exemple, un enfant rencontre un autre enfant pauvre et qu’il le repousse fièrement de son chemin, ou qu’il lui donne un coup, on ne doit pas lui dire : « Ne fais pas cela, cela fait mal à cet enfant ; sois donc compatissant, c’est un pauvre enfant, etc. ; » mais il faut le traiter à son tour avec la même fierté et lui faire vivement sentir combien sa conduite est contraire au droit de l’humanité. » Kant fait remarquer, après Rousseau, que les enfants sont tout à fait dépourvus de générosité : « C’est ce dont on peut se convaincre, par exemple, en ordonnant à un enfant de donner à un autre la moitié de sa tartine, sans lui en promettre une seconde : ou il n’obéit pas, ou, s’il le fait par hasard, ce n’est qu’à contre-cœur 4[4]. » Il ajoute qu’il est tout simple qu’on ne puisse guère parler aux enfants de générosité, puisqu’ils n’ont encore rien à eux. Mais, s’il est difficile de faire appel à la générosité d’un enfant, il l’est beaucoup moins de lui faire entendre le langage du devoir. C’est par là qu’il faut s’appliquer à le rendre bienfaisant. Représentez-lui que, s’il est mieux vêtu, mieux nourri, en un mot plus heureux que d’autres, il ne le doit qu’au hasard des circonstances, que les autres ont autant de droits que lui aux avantages de la fortune, et qu’ainsi en faisant du bien aux pauvres il ne fait

  1. 1 P. 239.
  2. 2 p.240.
  3. 3 P.237.
  4. 4 « Je n’ai guère vu dans les enfants, dit Rousseau, que ces deux espèces de générosité : donner ce qui ne leur est bon à rien, ou donner ce qu’ils sont sûrs qu’on va leur rendre. »