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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.

C’est encore le propre d’une mauvaise éducation que d’accabler les enfants de caresses continuelles et de s’en faire pour ainsi dire un jouet : on les rend ainsi effrontés et insolents 1[1]. En revanche, on a tort de vouloir leur faire honte de certaines choses dont ils ne peuvent comprendre l’inconvenance : on les rend par là timides et dissimulés 2[2]. Certaines gens se scandaliseront peut-être de ces paroles de Rousseau, rappelées par Kant : « Vous ne parviendrez jamais à faire des sages, si vous ne faites d’abord des polissons ; » mais qui n’approuverait le commentaire qu’en fait ici le philosophe allemand 3[3] ? « L’enfant, dit-il, ne doit pas être importun en société, mais il ne doit pas non plus s’y montrer insinuant. Il doit, avec ceux qui l’attirent à eux, se montrer familier, sans importunité ; franc, sans impertinence. Le moyen de le conduire à ce but, c’est de ne pas lui donner des idées de bienséance qui ne feraient que le rendre timide et sauvage, ou qui lui suggéreraient l’envie de se faire valoir. Rien n’est plus ridicule chez un enfant qu’une prudence de vieillard ou qu’une sotte présomption. Dans ce dernier cas, c’est notre devoir de faire sentir à l’enfant ses défauts, mais en ayant soin de ne pas trop lui faire sentir notre supériorité et notre domination, afin qu’il se forme par lui-même, comme un homme qui doit vivre en société ; car si le monde est assez grand pour lui, il doit l’être aussi pour les autres. Toby, dans Tristram Shandy, dit à une mouche qui l’avait longtemps importuné et qu’il laisse échapper par la fenêtre : « Va, méchant animal, le monde est assez grand pour moi et pour toi ! » Chacun pourrait prendre ces paroles pour devise. Nous ne devons pas nous être à charge les uns aux autres ; le monde est assez grand pour tous. »

Après les soins que réclame l’enfant, après les exercices qui ont pour but de développer et de perfectionner ses forces et ses facultés physiques 4[4], vient la culture de ses facultés in-

    Roussean en matière d’éducation, et avec quelle justesse d’esprit il rectifie au besoin les idées de son modèle.

  1. 1 P.212.
  2. 2 P. 212 et 226.
  3. 3 P.216.
  4. 4 Outre ceux qui ont été indiqués, voyez ce que Kant dit de certains jeux qui ont le même effet, p. 214-216.
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