Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xcii
ANALYSE CRITIQUE


au nom d’une meilleure doctrine, il repousse cette vieille théorie qui fait de l’homme un être originairement corrompu et vicié. « Il n’y a pas, dit-il 1[1], dans les dispositions naturelles de l’homme, de principe du mal. La seule cause du mal, c’est qu’on ne ramène pas la nature à des règles. Il n’y a dans l’homme de germe que pour le bien. » Le but de l’éducation est précisément de développer ce germe que Dieu a mis en nous, mais qu’il y a laissé informe, parce qu’il a voulu que l’homme tirât le bien de lui-même et pût ainsi acquérir une valeur personnelle. « Entre dans le monde. J’ai mis en toi toutes sortes de dispositions pour le bien. C’est à toi qu’il appartient de les développer, et ainsi ton bonheur ou ton malheur dépend de toi. C’est ainsi, dit Kant 2[2], que le Créateur pourrait parler à l’homme. » Plus loin 3[3], il revient sur la même question et la résout de façon à lever la difficulté que peut soulever cette assertion, qu’il n’y a dans l’homme de germe que pour le bien. « C’est une question, dit-il, si l’homme est par sa nature réellement bon ou mauvais. Je réponds qu’il n’est ni l’un ni l’autre, car il n’est pas naturellement un être moral ; il ne le devient que quand il élève sa raison jusqu’aux idées du devoir et de la loi. On peut dire cependant qu’il a en lui originairement des penchants pour tous les vices, car il a des inclinations et des instincts qui le poussent d’un côté, tandis que sa raison le pousse d’un autre. Il ne saurait donc devenir moralement bon qu’au moyen de la vertu, c’est-à-dire d’une contrainte exercée sur lui-même, quoiqu’il puisse être innocent, tant que ses passions sommeillent. » Là est la solution du problème de la destination humaine et par conséquent de l’éducation. L’homme ne naît pas pervers, mais brut ; il ne s’agit pas de le châtier et de le corriger, mais de le discipliner et de le cultiver, c’est-à-dire finalement de le moraliser.

Discipline et culture, voilà en deux mots, sans parler des soins matériels que réclame l’enfance, toute l’éducation. La discipline en est la partie négative 4[4], et la culture, la partie positive. La première se borne à dépouiller l’homme de sa sauvagerie naturelle 5[5], en l’accoutumant à se soumettre à une

  1. 1 P. l91.
  2. 2 P. 192.
  3. 3 P.241.
  4. 4 P. 188.
  5. 5 Ibid. et p. 196.