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ANALYSE CRITIQUE


n’a pas encore atteint son plus haut degré de pureté. Mais, puisqu’après tant de tâtonnements et d’efforts on est entré enfin dans la bonne voie, pourquoi les générations à venir n’y marcheraient-elles point à grands pas sur les traces de leurs pères, et pourquoi, toujours plus riches d’expériences et de lumières, n’arriveraient-elles pas à une éducation qui, en développant dans une juste proportion et conformément à leur fin toutes nos dispositions naturelles, conduirait l’espèce humaine à sa destination ?

Qu’on ne dise pas que c’est là un idéal chimérique. De ce qu’une idée n’a pas encore été réalisée dans l’expérience, il ne s’ensuit pas qu’elle ne soit qu’un beau rêve, et qu’il n’y ait plus à s’en occuper. Ne dût-elle même jamais être complètement réalisée, elle ne serait pas pour cela chimérique ; car c’est justement là le caractère de l’idéal, et l’idéal n’en veut pas moins être poursuivi sans relâche. Qui a jamais vu, qui aura jamais le bonheur de voir une république parfaite, gouvernée d’après les seules règles de la justice ; cette république n’est-elle pas cependant l’idéal des hommes en matière de gouvernement, et le but où doivent tendre tous les efforts de la politique ? Dès qu’une idée est vraie absolument, on ne saurait alléguer contre elle l’expérience contraire et des obstacles invincibles. Cela ne prouve rien contre elle, mais contre nous. Or telle est l’idée d’une éducation qui développe dans l’homme toutes ses dispositions naturelles et le conduise à sa fin.

Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs : lorsque Kant parle de l’entier accomplissement de la destination humaine, ce n’est pas des individus, mais de l’espèce seule qu’il s’agit. Cet entier accomplissement de notre destination est, selon lui, tout à fait impossible pour l’individu. Chaque homme est un ouvrier qui travaille à la tâche commune ; elle ne peut être remplie que par tous. Aussi « ne devrait-on pas élever les enfants d’après l’état présent de l’espèce humaine, mais d’après un état meilleur, possible dans l’avenir, c’est-à-dire d’après l’idée de l’humanité et de son entière destination 1[1]. » Kant voit dans cette idée le principe régénérateur de l’éducation ; tous

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