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la forcent à abandonner cette supposition, d’ailleurs très naturelle, que les objets des sens sont des choses en soi, pour les regarder bien plutôt comme de simples phénomènes et leur supposer un substratum intelligible (quelque chose de supra-sensible dont le concept n’est qu’une idée et ne peut donner lieu à une véritable connaissance). Sans ces antinomies, la raison ne pourrait jamais se décider à accepter un principe qui rétrécit à ce point le champ de sa spéculation, et consentir à sacrifier tant et de si brillantes espérances ; car, en ce moment même, où, en compensation d’une telle perte, elle voit s’ouvrir, au point de vue pratique, une plus vaste perspective, elle ne paraît pas pouvoir renoncer sans douleur à ses espérances et à son ancien attachement.

S’il y a trois espèces d’antinomies, c’est qu’il y a trois facultés de connaître, l’entendement, le Jugement et la raison, dont chacune (en tant que faculté de connaître supérieure) doit avoir ses principes a priori. En tant qu’elle juge de ces principes-mêmes et de leur usage, la raison exige absolument, relativement à chacun d’eux, pour le conditionnel donné l’inconditionnel ; mais on ne peut jamais trouver l’inconditionnel, quand on considère le sensible comme appartenant aux choses en soi, au lieu de n’y voir qu’un simple phénomène, et d’y supposer comme chose en soi quelque chose de