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simplicité qui atteste une certaine inexpérience en cet art, et on se réjouit de voir la nature déjouer l’artifice. On attendait ce qu’on voit tous les jours, un extérieur emprunté et composé à dessein pour tromper par la beauté de l’apparence, et voici, dans son innocence et dans sa pureté première, la nature qu’on n’attendait pas, et que celui qui la laisse paraître ne pense pas découvrir. À la vue de cette belle mais fausse apparence, qui a ordinairement tant d’influence sur notre manière de juger, et qui se trouve ici tout à coup anéantie, et de cette fourbe des hommes mise à nu, il se produit dans notre esprit un double mouvement en sens opposés, et ce mouvement donne au corps une secousse salutaire. Mais en voyant que la sincérité de l’âme (ou du moins son inclination à la sincérité), qui est infiniment supérieure à toute dissimulation, n’est pas tout à fait détruite dans la nature humaine, nous sentons quelque chose de sérieux dans ce jeu de l’imagination : le sentiment de l’estime vient s’y mêler. Mais aussi comme ce n’est là qu’un phénomène passager et que l’art de la dissimulation cesse bientôt de se montrer à découvert, il s’y mêle en même temps une certaine compassion ou un certain mouvement de tendresse, qui peut très bien s’allier, et dans le fait est souvent uni, comme une sorte de jeu, avec notre franc rire, et qui allège ordinairement, pour celui