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peut par lui-même trouver de satisfaction). Le rire est une affection qu’on éprouve quand une grande attente se trouve tout à coup anéantie. Ce changement qui n’a certainement rien de réjouissant pour l’entendement nous réjouit cependant beaucoup indirectement pendant un moment. La cause en doit donc être dans l’influence de la représentation sur le corps et dans la réaction du corps sur l’esprit, non que la représentation soit objectivement un objet de contentement, comme quand on reçoit la nouvelle d’un grand bénéfice (car comment une attente trompée peut-elle causer une jouissance), mais c’est qu’en tant que simple jeu des représentations elle produit un équilibre des forces vitales.

Je suppose qu’on raconte cette anecdote : un Indien, à Surate, dînant chez un Anglais et voyant ouvrir une bouteille d’ale et toute la bière s’échapper, en mousse, témoignait son étonnement par ses exclamations ; l’Anglais lui demanda ce qu’il y avait là de si étonnant ; je ne m’étonne pas, répondit l’Indien, de ce que cela s’échappe de la bouteille, mais je me demande comment vous avez pu l’y enfermer. Cette anecdote nous fait rire et nous donne un véritable plaisir, et ce plaisir ne vient pas de ce que nous nous trouvons plus habiles que cet ignorant, ou de toute autre cause qui plairait à l’entendement, mais