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sensible. Ainsi, par exemple, un poète[1] dit dans la description d’une belle matinée : «La lumière du soleil jaillissait comme jaillit le calme du sein de la vertu. » La conscience de la vertu, quand on se met par la pensée à la place d’un homme vertueux, répand dans l’esprit une multitude de sentiments sublimes et calmes, et nous ouvre une perspective sans bornes sur un avenir de bonheur, que ne peut rendre parfaitement aucune expression déterminée.[2]

En un mot, l’idée esthétique est une représentation de l’imagination associée à un concept donné, et liée à une telle variété de représentations partielles, librement mises en jeu, qu’on ne peut lui trouver d’expression désignant un concept déterminé, une représentation par conséquent qui ajoute à un concept beaucoup d’inexprimables pensées dont le sentiment anime les facultés de connaître et vivifie la lettre par l’âme.

  1. J’ignore quel est ce poëte. — On peut citer comme un exemple du même genre cette comparaison célèbre de M. de Chateaubriand dans Réné : “Quelquefois une haute colonne se montrait seule debout dans un désert, comme une grande pensée s’élève, par intervalle, dans une âme que le temps et le malheur ont dévastée.” J. B.
  2. Peut-être n’a-t-on jamais exprimé de pensée plus sublime que cette inscription du temple d’Isis (la mère de la nature) : “Je suis tout ce qui est, fut et sera, et nul mortel n’a levé mon voile.” Segner s’est servi de cette idée dans une vignette ingénieuse qu’il a placée en tête de sa physique, afin de remplir d’une sainte horreur l’élève, qu’il se prépare à introduire dans le temple, et de disposer par là son esprit à une solennelle attention.